Cette icône est, comme toute image de l'Indicible, une parabole. Elle s'offrira chaque jour sous un angle nouveau… Ce matin clair et frais m'a offert cette clarté. Demain sera autre.
D'abord, je n'ai vu que le velouté du bois, sa douceur, sa lumière. Il a bu mon regard aussi sûrement que l'or des icônes russes.
Il est sans recul : l'arbre est présent tout entier dans ce veinage soyeux qui semble couler vers Marie comme une eau. La Croix, déjà comme une promesse, comme l'espace indispensable à la Vie… cette Croix que nous confondons trop souvent avec la Passion, que nous associons résolument et définitivement à la torture, se déploie ici comme la structure même de l'Incarnation, paisible et forte. Inévitable aussi : elle nous fonde. Qui voudrait s'en affranchir ne serait pas Vivant…
Il est bien ici question d'Incarnation. "Le Verbe s'est fait chair…" (Jean 1)
Et de notre Incarnation : tout en nous aspire à la Vie ! "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il prenne sa croix et me suive" (Luc 9 23)
Et dans le silence de ce petit matin, la Croix s'unit au Souffle pour faire éclore la Vie.
Marie est là, agenouillée sous le poids très doux de son Dieu. Sartre en a si joliment parlé :
"…Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit. Et c’est dans un de ces moments-là que je peindrais Marie, si j’étais peintre, et j’essaierais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant-Dieu dont elle sent sur ses genoux le poids tiède et qui lui sourit…"
Extrait de Bariona, ou le jeu de la douleur et de l'espoir.
Elle nourrit l'Enfant, l'enveloppe de sa tendresse, il est encore en son creux comme il était en elle, à l'abri du rocher qui noie d'ombre souveraine la patience du bœuf et la sagesse de l'âne. En son ventre. Tout se tisse en silence au sein de cette Ténèbre si mal perçue, qui contient pourtant déjà en germe la Splendeur de la Résurrection.
"La lumière luit dans la ténèbre et la ténèbre n'a pas pu l'atteindre" (Jean 1)
L'arbre s'y enracine. Le Fils de l'Homme s'y enracine, et toute notre humanité avec Lui. La Promesse s'accomplit sous nos yeux, pour nous, pour que nous puissions, nous, l'atteindre, la recevoir, et qu'elle s'accomplisse en nous… Pour que nous aussi, aussi lentement et inéluctablement que croît un arbre, nous entrions dans le grand mystère de notre incarnation…
La Croix encore… splendide et sereine, enracinée de la terre et du ciel… "ce merveilleux palmier auquel il est monté…" St Thérèse d'Avila
Ici, point de palmier : mais un arbre inconnu qui porte dans ses branches le Christ ressuscité, vision du Père "Ancien des jours" peut-être qui de tout temps porte le Fils en Lui-même, de la Crèche à la Résurrection dans le sang de Sa Passion…
Au-delà du tombeau ouvert, une main tendue comme un appel, la paume blessée d'amour en étoile d'or, le cœur ouvert à jamais, nimbée de glorieuse humilité, il nous regarde. Il nous attend. Il est Chemin, Vérité et Vie offerte, il nous suffit d'aller et ce Ciel que nous rêvons tout de lumière immuable se dévoile autre, mouvement, abondance et fécondité.
Ce Ciel, nous le rêvions immobile et il nous invite à la Vie en Vérité, Trinité débordante de grâces à offrir sans relâche.
Le Tout Autre, Un et Trine. Trinité Sainte que nous écrivons au féminin. (Il manque à notre langue un genre différent, qui ne soit pas le "neutre", mais marque cet accomplissement : l'Un. Je garderai donc le masculin…)
Nous le rêvions parfait et comme arrêté en Lui-même, mais il est Création, Gestation, Enfantement, Fécondité et Inventivité parfaite.
Nous le rêvions éternité de délices, il est Eternelle Puissance de Vie !
Nous le rêvions tout autre mais l'inventions à notre image, Il-El se dévoile Présence…
Présence.
Indicible.
Eucharistie : dans l'Infini de sa Grâce…
Du sombre ventre de la Crèche, du tombeau matriciel à la Nuée qui domine, en cette image, tout se passe au secret de la Ténèbre, gardienne de toute Promesse, et ce qui demeure au présent, c'est l'obscure et lumineuse aventure chantée par St Jean de la Croix : "Par une nuit obscure, anxieuse, et d'amour embrasée…"
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